Le Modern’ Hôtel d’Allanche – Partie 2

par Pierre Tourvieille de Labrouhe – Cahier N°5

Le choix de son implantation

Avant d’approfondir l’architecture du bâtiment en lui même, il est intéressant de regarder l’implantation de l’hôtel. Il ne faut pas oublier, que l’ouverture d’un établissement hôtelier avait tout d’abord des vues économiques.

Depuis 1908 et l’ouverture de la gare, un nouvel axe a redessiné la cité d’Allanche. Appelée pompeusement sur certaines cartes postales « Avenue de la Gare », la traversée de la rivière Allanche ne s’effectue plus par un guet archaïque mais bien par un pont à deux travées réalisées par les ingénieurs des chemins de fer. Nouveau point d’entrée sur la commune, cet axe est celui qui permet à la plupart des voyageurs et estivants d’accéder au coeur commerçant. Et c’est bien dans cette idée et sur cet axe que Mr. Pelligry décida de remplacer l’ancienne auberge lui appartenant et tenue par la famille Rancillac par un hôtel flambant neuf, le Modern’Hôtel.

Le café tenu par la famille Rancillac, qui sera remplacé par le Modern’Hôtel en 1930.

A l’arrivée du train, il est ainsi pratiquement impossible aux voyageurs de ne pas distinguer cet hôtel qui dépassait et dépasse toujours des toits d’Allanche. Construit sur 5 niveaux, il reste le plus haut édifice privé de la cité.

Les bâtiments

L’ensemble qui constitue le Modern’Hôtel de 1930 se compose de deux parties : l’hôtel construit dans l’axe de l’Avenue de la Gare et d’une construction plus discrète tenant lieu de garage avec un étage loué à Mr. Chavignier notaire, afin d’y établir son office. Compagnon d’Alice Pelligry, la fille du propriétaire, ce bâtiment lui est dédié dès la conception. L’office sera ensuite repris par le notaire Jean Collandre.

Si l’on regarde l’architecture de l’ensemble, il semble se dégager deux grandes volontés, d’une part d’affirmer l’hôtel dans le paysage des toits d’Allanche et d’autre part d’intégrer l’ensemble au tissu urbain, en construisant l’annexe au gabarit et hauteur des maisons de la rue des Forgerons, l’ensemble s’intégrant assez bien tout en conservant une certaine logique fonctionnelle et commerciale.

L’architecture

1930

1950

Comme énoncé auparavant, c’est l’architecte Georges Breuil qui en fut le concepteur. Ayant suivi des études aux Beaux Arts de Clermont-Ferrand, le jeune homme part étudier l’architecture à Paris. Ayant obtenu son diplôme d’Etat, il s’installe à Aurillac où il aura une carrière riche et remplie.
Sorti de l’Ecole à la fin des années 20, Georges Breuil développe une architecture de son temps et ses oeuvres correspondent dans ses premières heures au style Art Déco.
Les archives départementales lui ont notamment consacré une exposition en 2002. Il est l’architecte de la Cité de l’Enfant ainsi que du bâtiment de l’actuelle pharmacie Bousquet à Aurillac ou encore de l’hôtel Vialette, actuel bâtiment du Casino de Vic sur Cère.

Hôtel Vialette / Vic sur Cère

Commencé en 1930, le Modern’Hôtel présente de nombreuses caractéristique de ce style : Dessiné avec des lignes simples et une forme droite, le bâtiment ne présente pas d’ornementation superflue. La façade est sobre, homogène et propose une architecture résolument moderne.

Le style Art Déco trouve son inspiration dans l’architecture classique mais aussi antique. On distinguera les ouvertures des avancées du rez de chaussée en forme d’arc romain ainsi qu’à la présence d’une corniche agrémentée d’une frise.

On remarquera également le travail de ferronnerie des gardes corps, proposant le dessin du blason d’auvergne stylisé. La façade, quand à elle, présente deux écussons réalisés en enduit aux initiales superposées M et H, qui nous renvoie encore aujourd’hui au style et au nom de son année de construction : le Modern’Hôtel.

On peut distinguer l’influence de deux grands ordres architecturaux dans sa conception. Tout d’abord l’idée d’un certain classicisme avec une façade ordonnancée d’une manière symétrique et où une intention toute particulière est donnée aux ouvertures. La façade, très sobre et sans modénature, est mise en scène. De part et d’autre s’élèvent deux avancées plus hautes que l’ensemble. Cette mise en perspective permet de mettre en valeur le rez de chaussée où était installée la partie plus vivante de l’établissement : le bar.

Ce dispositif se traduit également par un rehaussement des façades visant à dissimuler la toiture à double pans des avancées (Dispositif que l’on retrouve sur l’annexe). Effort tout à fait superflu mais qui participe à une idée moderne de l’architecture art déco, où l’on dissimule un élément constructif utilisé de tous temps au profit d’un effet de style. Il est intéressant de noter, qu’après une dizaine d’années, ce dispositif sera remis en cause car il semble que l’accumulation de neige, en période hivernale, a eu raison de cet élément purement décoratif. Aujourd’hui, la toiture en ardoise corrézienne a remplacé celle en zinc de l’époque et donne une toute autre allure au bâtiment.

On distingue également la mise en place de « bow window », fenêtres aux proportions nouvelles : aussi larges que hautes, elles permettent à la salle du restaurant au 1er étage de disposer d’une lumière abondante et d’un espace bien ventilé.
L’hôtel sera équipé du chauffage central, d’un monte-charge permettant de faire hisser les plats dans la salle du restaurant, de garages équipés pour accueillir des automobiles et bien entendu, du téléphone.

Si l’on considère la rigueur de sa façade, sa taille ainsi que la couleur de son enduit (à l’époque) mais surtout son implantation sur la Place du Cézallier (ancien champs de foire), l’hôtel utilise le vocabulaire architectural des bâtiments publics, avec comme principe : « Être vu de tous ! »

La décoration intérieure

La décoration n’est pas en reste puisque elle sera conçue selon les standards luxueux de l’époque. Les cartes postales nous en dévoilent la richesse : Lustres et appliques en verre moulé/pressé du designer Frontisi, fauteuils de type club, meubles aux lignes épurées recouverts de placages, papiers peints aux motifs dynamiques et aux couleurs denses et contrastées, etc…

Les intérieurs du Modern’Hôtel de 1930 n’avaient rien à envier aux hôtels de la capitale

Le chantier

Ce sera l’entrepreneur Chambon de Clermont-Ferrand qui sera chargé du chantier. Lors de son passage à Allanche, il lui sera également confié la construction de ce que l’on appelait le lotissement (Ensemble de maisons entre Maillargues et Allanche sur la gauche de la route), ainsi que la Coopérative laitière de Maillargues. Louis Soulier, né en 1909 et originaire de Sainte-Anastasie, se rappelait de ce chantier. Employé comme manoeuvre, il travailla à l’édification du bâtiment au sein d’une équipe de maçons creusois.

Il est intéressant d’étudier la structure puisque l’hôtel fut conçu et suivi par les ingénieurs de l’entreprise Hennebique, du nom de l’inventeur du béton armé. On retrouve les plans de ce dernier dans les archives conservées à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine à Paris. Procédé innovant pour l’époque, l’hôtel fut l’un des premiers édifices construits en béton armé dans le Cantal.

Un des intérêts d’une telle structure est la mise en place d’un système poteaux/poutres dégageant de ce fait toutes les surfaces de planchers. Hormis les murs extérieurs, aucun autre mur n’est porteur, seules des cloisons en plâtre viennent partitionner le plan.

A suivre :

  • Le Modern’ Hôtel d’Allanche – Partie 3 / La clientèle

Pour en savoir + : Extrait du Cahier N° 5,  en rupture de stock 🙁

Bibliographies :
• Patricia Bayer, Intérieurs Art Deco, Thames & Hudson, 2000
• D.R.A.C Auvergne, Canton de Saignes. Cantal. (Images du Patrimoine n° 176)
• Alfred Durand, La vie rurale dans les Massifs volcaniques des Dores, du Cézallier, du Cantal et de l’Aubrac, Imprimerie Moderne Aurillac, 1946
• Joël Fouilheron, Le Cantal de Georges Pompidou – Quelques part sur terre…, 2011
• Travaux d’architecture 1929-1933 / Georges Breuil – Strasbourg : Ed. Edari

Remerciements à Mrs Jean-Bernard Béland et Pierre Kaiser pour l’iconographie et la documentation, à Mrs Philippe Glaize, Jacky Magne et Louis Soulier pour leurs souvenirs ainsi qu’à la famille Albaret pour leur accès au bâtiment et aux plans.

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