Les anciennes mines des gorges de la Sianne

par Jacques Hamon – Cahier N°3

La richesse du sous-sol de la vallée de la Sianne a suscité de nombreuses recherches minières d’antimoine et d’argent au dernier quart du XIXème et au début du XXème siècle dont on trouve encore les nombreuses traces de mines exploitées et les galeries de recherches. Ces petites mines locales ont permis un bref développement économique de la région. De nombreux journaliers et paysans ont travaillé régulièrement ou occasionnellement dans l’une des mines à la grande époque de l’antimoine à partir de 1850 dans les pays d’Allanche, de Blesle et de Massiac.

Galerie Auriac, entrée-type des galeries de recherches dans la vallée de La Sianne (Collection ACVS)

Il n’est pas question ici de retracer l’histoire de toutes les concessions minières de la vallée de la Sianne (1). Nous allons cependant tenter de sortir de l’ombre deux mines situées dans le canton d’Allanche, l’une sur la commune de Vèze, l’autre sur l’ancienne commune de Chanet rattachée à Allanche en 1964.

Durant une cinquantaine d’années, des activités extractives et des recherches minières ont marqué les paysages de la vallée de la Sianne. Sur les sites à l’abandon depuis des décennies, la nature a repris ses droits.

Qui se souvient encore de cette épopée minière de la vallée de la Sianne ? Les anciennes mines de ce rude territoire encaissé font désormais partie intégrante du patrimoine archéologique et renferment les témoignages de techniques disparues.

Les galeries de recherches d’antimoine conservent encore les traces des méthodes d’abattages. Ainsi, la galerie d’Auriac-bas garde sa voie de roulage en fer, celle de Conche-bas son soutènement en bois.
La mine de Fournial, qui fut la plus importante de la vallée avec son usine de traitement, laisse encore entrevoir ses puits d’aération non loin de la tour médiévale carrée de Colombine. Le site de Terret, désormais coupé en deux par la départementale, offre toujours, cent ans après son exploitation, ses fours de séparation du minerai d’antimoine.
L’emplacement de l’usine de traitement du minerai de la mine du Bostberty se repère toujours par sa surprenante cheminée de 25 mètres qui dépasse de la cîme des arbres. Et des dizaines de galeries de recherches laissent sur les côtes et dans les vallons des bouches béantes que la nature tente au fil des décennies d’obstruer.

Si la plupart des sites miniers sont tombés dans l’oubli, leur redécouverte par certains amateurs est due à l’attrait des minéraux et à l’intérêt croissant pour cette thématique du patrimoine et à la sauvegarde des chauve-souris.

Les frères Lumière, concessionnaires de la mine de Vèze

L’histoire la plus curieuse restera celle de la mine de Chassagne située dans la partie la plus étroite des gorges de la Sianne au lieu-dit le pont de Vèze.

Sur la rive gauche de la Sianne, sous le confluent du ruisseau de la Gazèze, des travaux de recherche ont été effectués pour le compte du prospecteur Chassagne et les frères Lumière, les inventeurs du cinématographe. La concession a été vite abandonnée en raison de la rareté du minerai.

Deux galeries riches en chalcopyrite (2) et en mispickel (3) sont à proximité de la Sianne.

Le site minier du pont de Vèze de nos jours couvert de chênes, bouleaux, hêtres pins et sapins (Collection ACVS)

Auguste Lumière, l’inventeur du cinéma, concessionnaire de la mine de Vèze. L’information fait toujours sensation lorsqu’on évoque le petit site minier du pont de Vèze. Pourquoi le célèbre inventeur souhaite-il exploiter un site minier dans cette région isolée, peu accessible et loin d’une gare de chemin de fer ? Auguste Lumière, industriel à Vèze ? Cette révélation a en effet de quoi surprendre. Pourquoi donc le filon de mispickel aurifère et qu’il espérait aussi riche en argent pouvait-il bien être utile à ses activités ?

En fait, Auguste Lumière avait énormément besoin de sels d’argent utilisés comme support photographique.
Il produisait chaque année plusieurs centaines de milliers de plaques sèches. Il espérait que la concession de Vèze lui fournirait ces substances essentielles pour ses activités en plein essor. Mais il renonça rapidement à l’exploitation du gîte de Vèze fort décevante compte tenu de la faible teneur des minéralisations argentifères recherchées. A notre connaissance, l’inventeur du cinéma n’est jamais venu sur place voir sa mine.

Les frères Auguste et Louis Lumière. Demandes de concession et de renonciation pour l’exploitation des mines de Vèze présentées par les frères Lumière.

Les frères Lumière, concessionnaires de la mine de Vèze

La concession de Vèze englobait différents sites miniers travaillés autrefois pour l’arsenic et contenant un peu d’étain et de tungstène et des traces de bismuth.

Les galeries furent ouvertes sur le filon principal dit « filon de Vèze ou de Chassagne ». Il y avait aussi dans la concession d’autres minéralisations de même type connues  sous le nom de filon de Moudet, filonnets de Vèze et filonnets du pont de Vèze, mais elles n’ont jamais fait l’objet d’ouvrages miniers autres que des fouilles superficielles. Dans la partie « est » de la concession, le filon dit de Fondevialle a fait l’objet seulement d’une reconnaissance par une galerie de traçage.

La concession de Vèze couvrait une superficie de 382 hectares octroyée par décret du 19 décembre 1901 au bénéfice de Louis Lumière et Max Lagrévol, pour une exploitation d’or, d’argent et de substances connexes. L’affaire passa ensuite dans les mains de la Société Minière et Métallurgique d’Auzon. La concession a été renoncée le 10 décembre 1919.

Vestiges de six galeries

L’ancien site minier du pont de Vèze, qui se trouve aujourd’hui à l’intérieur du Parc naturel régional des volcans d’Auvergne, a fait l’objet en 2004 d’une étude de Géodéris pour le compte du Bureau de Recherches Géologiques et Minières (BRGM). Le rapport fait apparaître que les travaux sur la concession ne furent pas très importants au regard de la longueur des cinq galeries répertoriées sur place et après vérification dans les différents rapports d’état des lieux rédigés par des ingénieurs des mines, et conservés aux archives du BRGM de Clermont-Ferrand.

Les anciens travaux de la mine de Vèze
  • Galerie de Chassagne Cette ancienne galerie de 120 mètres de long est implantée à deux mètres audessus du niveau de la Sianne. L’entrée béante se voit de loin. La galerie est inondée à l’entrée par 20 centimètres d’eau et de boue. Il en sort en permanence une exhaure de couleur orangé d’un débit d’environ un litre seconde.
    Cette eau qui se jette dans la Sianne est probablement hautement polluante, étant riche en arsenic.
    Une concession peu rentable Vestiges de six galeries Les anciens travaux de la mine de Vèze
  • Galerie de la Gazèze (1) Cette galerie s’ouvre en rive droite du ruisseau de la Gazèze. Il s’agissait ici d’un travers-blanc de 12 mètres de long donnant accès au bout de trois mètres à un traçage se développant sur 22 mètres à gauche (sud) et 35 mètres à droite (nord)
  • Galerie de Gazèze (2) Cette ancienne galerie implantée en berge gauche du ruisseau de la Gazèze suivait un filon de traçage sur 90 mètres. Elle ne se signale plus aujourd’hui que par une petite halde indurée, riche en fragments ocre de minerai arsénieux et pyriteux.
  • Trois autres galeries ont par ailleurs été répertoriées : l’une d’environ 80 mètres de long en traçage dans le filon. L’entrée ouvre sur une galerie sur une grande distance. Une amorce de galerie de 8 mètres de long et enfin une galerie dont l’entrée est béante, a une longueur de 25 mètres.
Entrées de galeries des mines de Vèze (photographies BRGM)

De gauche à droite : on imagine le dur travail des mineurs pour attaquer la roche, au centre eau ferrugineuse en abondance sur le site minier du Pont de Vèze, une galerie.

La mine de Conche (ex commune de Chanet)

A quelques kilomètres de la mine du Pont de Vèze, c’est une autre mine qui va transformer un petit espace de la rive droite de la Sianne sur la commune de Chanet. Il s’agit d’un site d’exploitation d’antimoine (stibine massive) situé à la base d’une zone boisée. Les travaux miniers ont débuté vers 1893 pour se terminer en 1918 pour une production estimée à 800 tonnes. Galeries et halde (4) sont encore visibles aujourd’hui.

Carreau de la mine de Conche en 1900 (collection ACVS)

Emmanuel Chatillon

Galerie principale de Conche / Mine de Conche. Carreau de la mine en 2009

C’est Emmanuel Chatillon, industriel et inventeur auvergnat qui donna un grand développement à l’exploitation des mines en suivant des méthodes régulières d’exploration qui exploita le site de Conche à ses débuts.
Frappé par l’abondance des minerais pauvres et de l’impossibilité de les exploiter avec les procédés industriels de l’époque, Emmanuel Chatillon s’est attaché à résoudre le problème du traitement pratique et économique des minerais. Le 16 avril 1888 il fit breveter un procédé permettant de traiter les minerais pauvres, très nombreux
notamment dans la vallée de la Sianne. Cette découverte amena une véritable révolution dans la métallurgie de l’antimoine et permit notamment de reprendre avec succès l’extraction des minerais d’Auvergne.

En 1886, il vint s’installer au Babory de Blesle à proximité de la gare et de la route nationale.
Emmanuel Chatillon d’abord locataire des lieux ne deviendra propriétaire des installations minières qu’en 1898. En 1905, il vendit une bonne partie de ses biens, dont la mine de Conche, pour se procurer les capitaux nécessaires à la reconstruction de l’usine du Babory en 1907.

Demande de concession des mines d’antimoine situées sur les territoires des communes de Vèze, Molèdes, Chanet (Cantal) présentée par Emmanuel Chatillon en 1890

Annexes :
(1) Pour connaître l’histoire de l’épopée minière dans la vallée de la Sianne, consulter le site internet de l’Association Cézallier vallée de la Sianne : www.cezalliersianne.asso.fr.
Les recherches de l’association ont fait l’objet d’une exposition en 2006.
Association Cézallier vallée de la Sianne, Mairie, 15500 Molèdes, tel : 06 79 51 58 38
(2) Chalcopyrite : sulfure de cuivre et de fer (Cu Fe S2)
(3) Mispickel : sulfure de fer et d’arsenic (Fe As S) souvent aurifère, appelé anciennement arsénopyrite, cristallise sous forme de prismes ou octaèdres, blanc d’argent à gris acier.
(4) Halde : déchets et stériles d’une mine.

Pour en savoir plus :

• sur la chronologie de l’éphémère exploitation minière du pont de Vèze et de la mine de Conche : Télécharger le PDF
• sur le Cahier N° 3 « Richesse & Diversité du Cézallier » : Extrait du Cahier N° 3,  en rupture de stock 😕

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